Chirac sa disparition et l’Amérique

Le 26 septembre 2019 Jacques Chirac s’est éteint. Objectivement, il nous avait déjà quitté depuis un certain temps. La disparition d’un président français, même si la France n’est plus le leader du monde, reste un événement important. C’est vrai vu depuis la France, mais qu’en est-il à l’étranger. Aux USA, sans faire la une des journaux télévisés et des chaînes d’information en continu, la disparition de Jacques Chirac aurait mérité un insert, un encart nécrologique, un éloge funèbre. En fait le silence sur ce sujet fut assourdissant. Rien. Il fut un temps où une telle disparition ne restait pas sans réactions. Rappelons que lors de de la messe célébrée à Notre dame de Paris pour honorer le général de Gaulle, le président Nixon s’était déplacé. Il s’était aussi déplacé pour l’hommage à Georges Pompidou. La présence des plus hautes autorités d’un pays lors de tels événements permet de mesurer la qualité des relations entre deux nations. L’amitié entre les peuples français et américains ne se décrète pas, elle se constate. Malgré les apparences, cette amitié deux fois centenaire, semble depuis trois années ne plus être qu’une simple façade. Au mieux nous sommes entrés dans une parenthèse.

Aujourd’hui, sauf revirement, le gouvernement US sera représenté au plus bas niveau possible, probablement l’ambassadeur. Il convient de rechercher la raison de ces absences, l’absence de couverture médiatique et l’absence protocolaire.

En ce qui concerne le silence des médias, l’explication est simple : un séisme perturbe la logique habituelle de ces hommages. Après trois années de frasques, provocations, mensonges, le 24 septembre 2019, le président des USA devient enfin l’objet d’une enquête lancée par la chambre en vue d’un procès qui devrait le conduire à un « Impeachement ». Depuis trois années, le niveau prouvé de ses frasques, provocations et mensonges ne permettait pas de l’inculper avec de bonnes chances de le condamner. Un lanceur d’alertes aura provoqué un faux pas probablement fatal pour l’actuel hôte de la Maison Blanche : afin de se disculper celui-ci aura rendu public la transcription d’une conversation avec le président d’Ukraine. Cette conversation avec le président démocratiquement et nouvellement élu aurait dû rester dans les félicitations protocolaires. La transcription de cette conversation montre sans aucune ambiguïté que l’actuel président des USA a exercé un chantage envers le président d’Ukraine afin d’obtenir des informations sur la famille d’un de ses possibles concurrent à l’élection présidentielle US de 2020. Que ce soit en France ou aux USA, impliquer un pays étranger dans une élection nationale est un crime qui met ce pays en danger. En France ce serait la Haute Cour, aux USA c’est la procédure d’Impeachement. Et la révélation de ce crime occupe, sature l’espace médiatique américain qui voit dans cette chute probable une revanche aux humiliations subies, aux insultes proférées depuis le début du mandat par l’actuel hôte de la Maison Blanche.

Si en France la disparition de l’ancien président occupe une place importante et justifiée dans les médias, journaux et autres canaux d’information, ici aux USA, celle-ci n’a pas été mentionnée par les chaînes d’info, chaînes trop occupées à décortiquer, disséquer, analyser avec délectation les éléments de la chute à venir.

Une autre raison participe à ce silence. Suite aux attentats du 11 septembre 2000, la France s’est rangée aux côtés des USA et des nations de l’OTAN pour intervenir en Afghanistan. Les accords de défense mutuels ont enclenché la participation française à cette intervention. Les USA ont ensuite tenté d’impliquer les alliés dans une guerre en Irak pour se débarrasser de Sadam Hussein. Le gouvernement américain de l’époque prétendait que celui-ci avait accumulé des armes de destruction massive. Ce mensonge d’état, mensonge monté de toutes pièces, a été dénoncé par Jacques Chirac. Cette dénonciation fut reçue aux USA comme une trahison. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac, aura prononcé aux Nations Unies, un discours montrant à la fois le mensonge d’état de l’administration américaine à propos des armes de destruction massive ainsi que les conséquences ingérables d’une telle intervention. Près de quinze années plus tard, ce discours reste juste et visionnaire. Les US ont engagé le monde dans une guerre mafieuse dont la vocation réelle était de s’approprier les richesses pétrolières irakiennes. Cette guerre d’Irak aura donné naissance à une guerre de religion qui pourrit la stabilité de la région et plus largement celle du monde. Les US n’ont probablement pas oublié cette leçon de politique internationale et, par leur absence, soulignent la justesse des positions prises alors par Jacques Chirac.

Si la bêtise est rancunière, l’histoire reste à la longue intraitable avec la distorsion de la réalité. Jacques Chirac avait raison. Le discours populiste, démagogue, mensonger de l’administration US actuelle, face à la disparition de Jacques Chirac montre, pour peu de temps encore, ses limites.

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